Kianoush Ayari, l’homme des quatre saisons
Aussi bien producteur, réalisateur, scénariste, monteur, et décorateur, Kianoush Ayari est une figure complète du cinéma iranien. C’est pour rendre hommage à cet « homme des quatre saisons » que nous avons décidé de lui consacrer une rétrospective dans le cadre de la troisième édition du festival Cinéma(s) d’Iran qui se tiendra au Nouvel Odéon du 19 au 30 juin 2015.
Né à Ahwaz en 1951, Kiaboush Ayari commence à tourner en 1970 au sein du mouvement « Cinema-Ye-Azad » (« Cinéma libre ») qui utilise le format super-8 pour réaliser des films de fiction. Enseignant au Kanoun, il est documentariste à la télévision quand éclate la révolution de 1979. Peu de temps après, il signe Les Arrivants, moyen métrage qui capte la vie de Téhéran au lendemain de la révolution de 79. En s’attardant sur des visages anonymes, Ayari révèle son intérêt pour les gens ordinaires. Ce seront des personnes simples confrontées aux bouleversements de l’Histoire que l’on retrouvera dans son cinéma à travers une filmographie qui peut se diviser en quatre parties.
De La soif du Diable à Une journée grandiose : l’Iran d’avant la révolution
Tourné en 1985, son premier long métrage, La Soif du Diable, met en scène un ingénieur, Mohammad-Ali, voulant faire revivre une maison abandonnée au milieu du désert en activant un puits desséché. Un de ses frères, Hassan-Ali, associé à un homme d’affaire local, Kalbali, s’oppose à ce projet pour soutenir à la place la mise en service de pompes à eau mécanique. Ce conflit isole l’ingénieur qui sera victime d’un guet-apens. Dès ce premier long métrage, Ayari aborde l’un de ses thèmes de prédilection, la famille et ses déchirements mais aussi la modernité qui bouleverse un équilibre millénaire.
Pour son deuxième film, Le Spectre du Scorpion (1986), le cinéaste livre une comédie policière aux allures d’autoportrait : réalisateur de films en super-8, Mahmoud, essaye de convaincre un producteur d’investir dans son projet. Devant son refus, il décide de traduire son scénario dans la réalité en revêtant les habits du « Scorpion », son double qui se confond désormais avec lui-même. Passant de la comédie au drame et multipliant les références cinématographiques, Le Spectre du Scorpion joue sur le sentiment de « déjà vu ». Tous les faits et gestes du personnage sont la répétition de scènes écrites ou filmées au préalable. Ce film à la fois fantasque et sombre est l’œuvre préférée de son auteur.
Tourné dans sa ville natale d’Ahwaz, Au-delà du feu (1987) est le chef d’œuvre d’Ayari! Le long métrage montre la rivalité entre deux frères, Nowzar et Abdol-Hamid, après la vente de la maison familiale à une compagnie pétrolière. Si un des frères s’est retrouvé en prison, l’autre a dépenser l’argent reçu en babioles : parfum et vêtement. Un enfant et sa sœur aînée, marchands de lait, vont rapprocher les deux frères. Comme l’indique le générique, l’action se déroule durant le printemps 1973, soit quelques mois avant le premier choc pétrolier. C’est un autre choc, poétique cette fois, qu’orchestre le film dans une scène finale où se mêlent les quatre éléments au son du Beau Danube bleu de Johann Strauss. En 1990, lors de sa sortie parisienne, le film fut qualifié de « western oedipien » par Raphaël Bassan. Il sera reprogrammé en 1998 par le Festival des Trois Continents à Nantes dans le cadre d’une carte blanche accordée à Abbas Kiarostami. Yann Tobin comparera alors le film à Ecrit sur du vent de Douglas Sirk.
Une Journée Grandiose (1989) conte l’histoire d’un champion cycliste de retour dans sa ville natale pour se marier. Il est accueilli par le maire qui veut profiter de sa popularité pour collecter des tapis auprès de la population afin d’organiser une fête pour la venue de la famille impériale. Pris entre la ferveur de la foule, les préparatifs de la mairie, et son mariage, Golagha ne sait plus où donner de la tête. Heureusement tout se terminera bien et la mariée sourira à son heureux époux.
De Comme deux gouttes d’eau à La Corne du Taureau : l’Iran postrévolutionnaire
Avec Comme deux gouttes d’eau (1991), Ayari décrit l’Iran d’après la révolution. Le film évoque le récit de deux jumelles, Farah et Sayeh, séparées à la naissance et qui se retrouvent 20 ans après sur la tombe de leur mère. Si l’une a grandi dans les beaux quartiers de Téhéran, l’autre a vécu avec son père dans les quartiers déshérités du sud. Elles décident de changer d’identité. Le récit évoque une version féminine du Prince et le pauvre de Mark Twain. Lors d’une séquence, les deux jumelles veulent répondre à un casting pour un film de cinéma qui met en scène deux sœurs. Ayari continue ainsi les clins d’œil réflexifs propres à son œuvre.
En 1992, Gens d’Abadan reprend le noir et blanc et le scénario du Voleur de Bicyclette de Vittorio De Sica. En situant son intrigue pendant la guerre Iran-Irak. Le film offre un portrait de Téhéran dans les dernières années de la guerre. Les « gens d’Abadan » sont en effet des réfugiés ayant fui les combats dans leur ville natale. Ce n’est plus un vélo mais une automobile qui est volée au père entraînant une traversée des différents quartiers de la capitale par l’homme et son fils.
Bien que l’enfance soit très présente dans l’œuvre d’Ayari, il faudra attendre 1995 pour que celui-ci tourne un film entier sur ce thème : La Corne du Taureau, adaptation d’Emile et les détectives (1928) d’Erich Kästner. Ce classique de la littérature enfantine a été porté à l’écran pour la première fois en 1931 par Gerhard Lamprecht. Un jeune provincial est victime d’un vol dans le train qui le conduit à Téhéran. Il est secondé par un groupe d’enfants pour retrouver l’auteur du forfait. Le film offre une image attachante de l’enfance à la fois solidaire et obstinée. Cette petite société s’oppose à celle des adultes tout en répétant certains gestes. On devine derrière chacun de ces visages enfantins les adultes qu’ils deviendront plus tard.
D’Être ou ne pas être à Réveille-toi, Arezou ! : l’Iran actuel
Tourné en 1998, Être ou ne pas être marque une étape dans l’œuvre d’Ayari. Le film commence par le témoignage d’une jeune fille souffrant d’insuffisance cardiaque. La présence d’une caméra de télévision et le sentiment d’urgence qui traverse le film, lui donne un caractère dépouillé proche du reportage. Avec ce long métrage, l’esthétique du cinéaste semble plus directe et moins affecté.
Sorti en 2002, Le festin iranien est un film à sketches qui suit le parcours d’un faux billet de banque, de Téhéran à l’île de Kish. Ce voyage offre une vue en coupe de la société iranienne à la veille du nouvel an.
L’approche directe se retrouve dans Réveille-toi, Arezou ! (2005) qui revient sur le tremblement de terre de Bam en décembre 2003. L’auteur suit le destin d’une institutrice et d’un prisonnier. L’homme a perdu sa fille Arezou dont le nom est synonyme de “Souhait” en persan. Meurtri, il n’en porte pas moins secours à une autre fillette, Mina, avant de retourner en prison. Le film montre ce combat pour la survie et les liens nouveaux qui s’établissent entre les personnages, dessinant l’image d’une possible famille à venir, née malgré la catastrophe.
De L’Histoire de Gharib à La Maison paternelle : l’Iran au 20ème siècle
Présenté au festival de Venise en 2012 dans la section Orizzonti, La Maison paternelle porte un regard implacable sur la place des femmes dans la société iranienne de 1929 à 1996. Assassinée par son père et son frère pour avoir déshonoré la famille, Molouk est inhumée dans la cave qui sert d’atelier de réparation de tapis. Cette tombe secrète hante la maisonnée et agit sur le destin de ses habitants. On pense au Cœur révélateur d’Edgar Poe ou comment une disparition marque en profondeur un lieu. Depuis sa réalisation, La Maison paternelle est interdit de diffusion en Iran. Le meurtre de la jeune fille est en effet jugée choquant par la morale religieuse. N’est-ce pas cette hypocrisie que dénonce le film ?
Avant La Maison paternelle, Ayari avait tourné pour la télévision L’Histoire de Gharib, une série retraçant en 36 épisodes la vie du Dr. Mohammad Ghabi (1905-1975), le père de la pédiatrie iranienne. La volonté de raconter l’histoire de l’Iran sur une longue période apparaît dans les dernières œuvres du cinéaste.
À travers ce parcours qui couvre 45 ans de réalisations, Ayari s’affirme clairement comme un cinéaste fidèle à lui-même retraçant l’évolution de l’Iran au 20ème siècle comme celle d’une famille avec ses déchirements, ses révélations et ses réconciliations. En ce sens, il est bien « l’homme des quatre saisons » couvrant un cycle dont on attend les nouveaux “arrivants”.
Bamchade Pourvali